Tomonobu Itagaki est mort. Pas dans un accident de moto comme on aurait pu l’imaginer, mais des suites d’une maladie inconnue. Les journaux n’en disent pas plus, comme si même la science avait décidé de respecter son refus obstiné de l’explication logique. Itagaki, c’était ce type qui faisait des jeux d’action comme on monte une scène de Fast & Furious : à l’instinct, à la cigarette, et en se moquant éperdument du bon goût. Il a quitté la Team Ninja depuis longtemps, mais Ninja Gaiden lui appartient toujours un peu. Même quand c’est PlatinumGames qui tient la manette. Même quand c’est Yakumo qui tient le sabre.
Plateformes : PC (Microsoft Windows), PlayStation 5, Xbox Series X|S
Développeur : Team NINJA , PlatinumGames
Éditeur : Xbox Game Studios
Sortie : 21 octobre 2025
Et ça commence comme ça, Ninja Gaiden 4. Par une pluie acide qui tombe sur Tokyo, des militaires cyberpunk, un dragon mort suspendu au-dessus de la ville comme un mauvais souvenir, et un nouveau héros qui a tout à prouver. Pas de doute, on est bien chez Platinum. Mais alors, pourquoi est-ce qu’on a l’impression de jouer à un God of War qui aurait avalé Stellar Blade et recraché un Bayonetta light ? Pourquoi est-ce que, malgré toute cette débauche d’effets spéciaux, on s’ennuie ? Et surtout : où est Ryu, bordel ?
Yakumo est un ninja du Clan du Corbeau, un nom qui sent bon le folklore japonais et les tatouages dans le dos. Sa mission : libérer une prêtresse, éviter que le Dragon Noir ne ressuscite, et surtout… ne pas croiser Ryu Hayabusa, qui bosse pour les méchants. Un bon ninja, c’est un ninja qui suit la prophétie, pas un mec qui sauve le monde à chaque épisode.
Le gameplay suit la tradition : attaque légère, attaque lourde, esquive millimétrée et gerbes de sang à la pelle. Pas de parade stricte ici : on esquive, on contre-attaque, on bourre dans le bon tempo. Le cœur du système tient toujours debout, mais vacille un peu. La faute à la fameuse posture « Nué », qui transforme vos armes en instruments de destruction massive — rapière qui fore, sabre géant, marteau à réaction. C’est fun, c’est spectaculaire… et ça flingue l’équilibre comme un shuriken dans une machine à café.
Pourquoi ? Parce que certaines attaques permettent de briser la garde des ennemis sans réfléchir. Et dans un Ninja Gaiden, réfléchir, c’était un peu le concept. On apprenait les patterns, on punissait les erreurs, on souffrait. Ici, on spamme les attaques de sang, on regarde les ennemis exploser, et on se demande si on a vraiment mérité cette victoire.
PlatinumGames a encore de beaux restes : les combats de boss sont globalement très réussis, avec quelques idées visuelles brillantes (le tengu-avion de chasse est un concept que j’aimerais voir adapté en comédie musicale). Les affrontements contre des humanoïdes sont nerveux, lisibles, et font honneur à la série. Mais le jeu cache un péché capital dans son arsenal : une arme à distance qui permet de briser les ennemis… depuis l’autre bout de l’arène. Oui, vous pouvez lancer des shurikens de sang jusqu’à démolir un boss sans bouger. Et non, personne chez Platinum ne semble s’en être inquiété.
Ce déséquilibre devient flagrant sur la fin. Yakumo débloque sa boîte à malice, sorte de Kinder Surprise de la violence : shurikens, bombes, griffes mécaniques, le tout sans contrepartie. Dans un jeu qui se veut exigeant, c’est comme filer un lance-roquettes dans Sekiro. Les boss deviennent des cibles statiques, et toute tension s’effondre. Le pire, c’est que cette arme fonctionne aussi sur le boss final. Premier essai, une phase détruite sans effort. Le drame est total.
Le décor, lui, n’aide pas. On commence à Tokyo. On continue à Tokyo. On termine à Tokyo. Trois zones de ville, trois de forêt (?), trois d’égouts, trois de hangars… et basta. Même quand Ryu entre enfin en scène — pour quelques chapitres à peine, dans un caméo plus contractuel qu’épique —, on rejoue les mêmes niveaux. Oui, Ninja Gaiden l’a déjà fait avec Ayane ou Rachel, mais à l’époque, on allait au moins en Russie, à Venise ou dans un temple maudit. Ici, c’est béton, tuyaux et couloirs rectangulaires.
Le level design est une catastrophe. Trop grand, trop vide, trop plat. Platinum semble avoir oublié qu’un bon jeu d’action se joue aussi avec les murs. Dans Ninja Gaiden Black, on se battait dans un zeppelin exigu, un monastère effondré, un château en ruine. Ici, c’est Bailly-Romainvilliers sous stéroïdes cyberpunk, avec des salles aussi grandes que vides. Il y a des secrets, oui. Mais à quoi bon chercher des orbes quand tout le reste manque de nerf ?
Ryu Hayabusa, figure légendaire, héros de jaquette, arrive comme Bruce Willis dans un direct-to-video roumain. Son gameplay repose sur une jauge de ki qui permet de lancer des jutsus : phénix, ténèbres, tornade… mais aucune vraie variété. Une seule arme, et une deuxième en DLC. Oui, payant. Oui, en 2025. À ce stade, il aurait mieux valu l’appeler Ryuxploitation.
Les niveaux sont recyclés, les mécaniques identiques à Yakumo, et l’impression que tout ce pan du jeu a été collé à la fin d’un PowerPoint devient difficile à ignorer. Même ses dialogues sonnent creux : “Ouais, c’est chaud… y’a des démons…” Pendant ce temps, une petite musique douce de boutique numérique vous rappelle Stellar Blade. La boucle est bouclée.
Le spectacle avant tout
Alors oui, visuellement, Ninja Gaiden 4 en jette. Les exécutions sont somptueuses, la mise en scène est léchée, et l’action attire l’œil comme un feu d’artifice sous Red Bull. L’accessibilité est au rendez-vous : aides visuelles, lock auto, mode Héros pour les néophytes… tout est fait pour que même votre oncle puisse tuer un boss sans comprendre les boutons.
Mais est-ce encore un Ninja Gaiden ? Ou juste un beat’em all un peu plus sanglant que la moyenne ?
MON AVIS
PlatinumGames a encore du talent. L’équipe est jeune, on le sent. Mais il manque une main ferme. Un Tomonobu fantôme pour remettre un coup de latte dans la table. Parce que Ninja Gaiden 4 n’est pas un mauvais jeu. C’est un jeu immature, un peu lâche, un peu trop gentil avec vous. Et Ninja Gaiden, c’est pas censé être gentil.
BIEN +
Points forts
- Des boss marquants
- Un système de combat agréable
- Une mise en scène léchée
Points faibles
- Un level design creux et redondant
- L’arme à distance qui flingue le gameplay
- Visibilité parfois chaotique
