L’interview du Tiroir #03 – Olivier Derivière

Olivier Derivière est un jeune compositeur de musique français. Depuis 15 ans, il compose des musiques de jeux vidéo avec passion. A son actif, on compte beaucoup de titres incontournable : Obscur, Alone in the Dark, Remember Me, Bound by Flame, Get Even, Assassin’s Creed : Black Flag, Vampyr et dernièrement 11-11 Memories Retold, le jeu faisant echo aux 100 ans de l’armistice. Nous avons eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions :

Le Tiroir à Jeux : Bonjour Olivier ! Je te propose de commencer cette interview par notre question un peu « signature ». Adolescent, tu aurais un tiroir avec un jeu vidéo, deux albums musicaux et une VHS, ce serait quoi ?

Olivier Derivière  : Ma chambre était couverte de disquette d’Atari ST, d’Amiga et ensuite PC donc en mettre une seule dans un tiroir, c’est très difficile ! Il y a eu tellement d’expérience fabuleuse ! C’est compliqué parce que le jeu vidéo n’a de cesse de m’émerveiller ! Je suis toujours émerveillé par le jeu vidéo, je suis émerveillé par, avant tout, les univers qu’ils proposent. A l’époque on avait tous ces jeux sur Amiga démarrant par les Shadow of the beast, les Agony, les Unreal… Il y a eu tellement de jeux avec des univers très singuliers, sur PC mais aussi avec les BioForge, les Wing Commander bien entendu, les Day of the Tentacle… Pareil, tellement d’univers qui ne correspondaient à rien par rapport à l’univers cinématographique par exemple. En choisir un c’est difficile ! Pour ce qui est des albums de musique, c’est un peu la même chose. Moins d’émerveillement mais plus de sensations émotionnelles puisque la musique c’est un peu moins sur le visuel mais plus sur le ressenti. Adolescent j’ai eut ma période Pink Floyd forcément. Et qu’est-ce que j’ai eu comme période, j’en ai eu plein ! J’ai écouté ce que mon père écoutait en fait : du Kate Bush, du Tom Waits… J’ai eu la chance d’avoir un père très mélomane ce qui fait qu’aujourd’hui je vole inconsciemment tout ce qu’il m’a fait entendre petit. Et puis le film… C’est dur ! Disons que le film c’était la découverte du cinéma « blockbuster » parce que c’était vraiment l’époque des blockbusters intelligents et d’auteur. On avait les Die Hard, qui étaient incroyables. Il y avait l’Arme fatale, les Alien, Terminator, Robocop, Conan le barbare… Tous ces films super iconiques pour nous qui ont emmené vraiment beaucoup de ludique dans le cinéma. Ce qui fait que certains français ont regardé le cinéma américain de haut mais on a baigné dedans, on a découvert le cinéma par ces films-là. C’est des films, au-delà du fait que c’était bien fait, qui ont très peu vieilli. L’écriture et la réalisation tiennent encore très bien la route, on sent qu’il y a une personne derrière qui a envie de dire quelque chose et ça fait plaisir. Contrairement à aujourd’hui où on a l’impression que les blockbusters sont des produits. Très bien fait mais ça reste des produits. Pour la VHS je vais te citer un film que peu de monde connait, c’est Strange Days, sorti en 1996 avec Ralph Fiennes, Angela Bassett, Juliette Lewis et c’est un film d’anticipation sur la célébration de l’an 2000 dans un Los Angeles complètement ravagé par la loi martiale. C’est un thriller un peu technologique. Ça réuni un peu les univers du jeu vidéo, de la réalité virtuelle et c’est très très bien écrit, très bien réalisé !

Crédit photo : Alexandre Jeanson

LTJ : Get Even a la particularité d’avoir une musique qui interagit avec le comportement du joueur, par rapport à tes compositions jusqu’où peut aller ton degré d’investissement dans le jeu ?

Olivier Derivière : Get Even en termes d’utilisation de la musique est extrêmement en avance sur son temps voire ne sera peut-être jamais compris, je ne sais pas. C’est très loin de l’approche globale de la musique de jeu vidéo aujourd’hui c’est sur mais c’est une des pistes que j’avais envie d’explorer parce que je considère que la musique de jeu vidéo aujourd’hui n’est qu’une espèce d’ersatz de la musique de film à la fois dans la manière dont les compositeurs travaillent et écrivent la musique et dans la manière dont elle est utilisée. Par exemple les compositeurs de musique de jeu vidéo vont souvent écrire de la musique linéairement et il y aura un caractère complètement déconnecté du compositeur aux jeux vidéo. Même si celui-là aurait vu des vidéos ou même joué au jeu vidéo, il n’aurait pas compris le rôle que la musique aurait pu avoir. Le jeu vidéo, c’est pas une histoire, c’est pas un univers, c’est pas des personnages, avant tout c’est un joueur qui expérimente, que ce soit les règles, les mécaniques… et qui va par cette expérience-là éprouver des choses. L’approche de la musique de jeu vidéo aujourd’hui est extrêmement banale, c’est juste un composant illustratif de l’expérience. Moi la manière dont je me suis investi sur Get Even, comme je me suis investi sur la plupart des jeux, c’est en étant une force de proposition active, en ayant une relation extrêmement proche avec les développeurs pour faire de la musique non pas quelque chose d’illustratif uniquement. Evidemment on va faire de l’illustratif si on en a besoin, je ne dis pas que la musique ce n’est jamais illustratif mais surtout c’est de voir comment la musique peut, vis-à-vis de l’expérience joueur, apporter une dimension qui seul le jeu vidéo peut proposer. Get Even c’est vraiment l’expression la plus extrême de ce que je suis en train de dire, la musique fait partie intégrante de toute l’expérience à la fois à l’intérieur du jeu et à l’extérieur du jeu. Quand je dis à l’extérieur, c’est dans le sens où ce sont des musiques qui sont dans l’univers et à la fois déconnectées de l’univers mais qui font sens. Parce que c’est le point le plus important pour moi lorsque je fais de la musique, déjà en écriture pure, j’y met beaucoup de sens, j’y met beaucoup de signification. Je ne fais pas de la musique pour illustrer et pour faire « tagada tsointsoin y’a de la musique », ça, ça ne m’intéresse guerre. Si on pousse donc cette idée de vouloir donner du sens à ce que je fais et le sens du jeu vidéo, si on fait de la musique de jeu vidéo c’est bien de lui donner du sens en essayant de proposer quelque chose sur l’expérience joueur plutôt que juste de la narration.

LTJ : Quel est ton niveau d’exigence envers toi-même, envers ton travail ? Est-ce qu’il t’arrive de te dire « Non c’est pas ça, j’efface tout et je recommence » ?

Olivier Derivière : L’écriture par l’échec, elle est automatique. On a tous des moments où on pense avoir trouvé et finalement non c’est pas la meilleure des idées, qu’elle soit musicale ou fonctionnelle pour la musique dans un jeu vidéo. Bien entendu, il a y a des échecs mais ces échecs sont surtout des réussites. On découvre que quelque chose ne marche pas donc on est content d’avancer. L’expérience aidant et la professionnalisation de l’industrie font qu’on a moins tendance à se tromper complètement. On peut se tromper sur quelques aspects mais globalement on est sur la bonne direction.

LTJ : J’en profite pour te glisser une petite question bonus ! J’ai récemment croisé un confrère qui m’a dit « Si tu as la chance d’avoir Olivier Derivière en interview, dis-lui juste « Alone in the Dark », alors voilà : Alone in the Dark ?

Olivier Derivière : Ah Alone in the dark ! C’était il y a plus de 10 ans pour moi maintenant. Ça a été une expérience absolument géniale déjà c’était mon premier AAA, ensuite c’était complètement surréaliste. Le jeu avait des ambitions qui dépassaient largement les capacités de tout ceux qui le faisait, moi inclus. On a fait une espèce de chant de cygne sur cette production. On a tous gardé un souvenir ému de cette production parfois un peu difficile pour certains plus que d’autre mais globalement la musique ça a été un élément plutôt réussi. Je pense que voilà, ça n’a pu avoir lieu parce que j’ai déménagé sur Lyon pour être dans le studio avec eux puisqu’à l’époque j’allais de projet en projet comme ça. J’étais à Lille auparavant où je faisais les jeux Obscur et là pour Alone in the Dark j’avais décidé de partir à Lyon pour passer mes journées là-bas et surtout être proche, comprendre le projet, comprendre comment faire pour soutenir le projet. Au final musicalement on a fait une sorte de film interactif puisqu’au final le jeu c’était à peu près ça. Un peu comme les Uncharted, mais on est allé beaucoup plus loin en ce qui concerne la musique. Si tu prends une séquence qui s’appelle « La façade » où tu vois Edward Carnby qui doit aller de petite corniche en petite corniche sur une petite façade, si tu regardes sur YouTube, tu verras que la musique suit toutes les actions du joueur. C’était complètement surréaliste ! C’est à la fois inutile et génial ! C’est la fougue et le panache de la jeunesse, il y a 10 ans, j’avais 26 ans et je me suis tout permis. A l’heure actuelle je ne sais pas si je ferais ça… Si en fait, je l’ai fait puisque j’ai fait Remember Me et Get Even, voilà je pense que je ne m’arrêterai jamais ! Alone in the Dark c’est une superbe expérience pour moi !

LTJ : Tu souhaites rester dans le jeu vidéo ou tu voudrais tenter le cinéma ? J’ai vu La solitude d’un éboueur sans camion et j’ai trouvé le raccord musique-image génial, ça donne une dynamique assez incroyable à ce petit court métrage !

Olivier Derivière : Ola c’est vieux ! C’était en 2003, j’étais petit, j’étais vraiment tout petit ! C’était juste avant que je démarre ma carrière dans le jeu vidéo. Le cinéma, bien entendu que je ne vais pas dire non et d’ailleurs ce même réalisateur actuellement est en train de faire un long-métrage et on retravaille ensemble dessus. Mais c’est pas quelque chose vers quoi j’ai beaucoup d’ambition personnelle. Mais pourquoi pas ? Ça me ferait plaisir, je pense que j’y trouverais surement beaucoup de plaisir, ce serait intéressant, c’est une nouvelle expérience. Cela dit, ça fait plus de 15 ans que je me bats pour le jeu vidéo, c’est pas tant en tant que compositeur, je m’intéresse peu à ce que je fais personnellement. Par contre je m’intéresse beaucoup à ce que le jeu vidéo peut proposer et donc par l’audio et surtout la musique, j’essaie de défendre auprès des développeurs, auprès des éditeurs et surtout des compositeurs le fait que la musique de jeu vidéo n’est pas de la musique de film, n’est pas de la musique de pub, etc… C’est une nouvelle forme d’expression, un regard différent, un travail différent. Ça fait 15 ans que je me bats pour ça, ça fait 15 ans que personne ne m’écoute. Mais la différence, si tu regardes mon pedigree, tous les jeux que j’ai pu faire jusqu’à présent aucun ne sont des hit game. Je n’en ai jamais eu. Tous les autres compositeurs en ont eu au moins un, sauf moi ! Et pourtant je suis encore là, et pourtant je vais enregistrer à l’Abbey Road avec les plus grands orchestres, avec les plus grands ingénieurs du son… Je fais des choses extrêmement poussées et pourquoi ? Parce que justement je pense que les gens du milieu du jeu vidéo, quand je discute avec eux, comprennent tout à fait ce que je propose et il réalise l’apport que ça a. Quand il le voit sur des review, malgré que les jeux ne soient pas des hits, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont ratés mais sont au plus à 75/80 en score méta-critique, ce qui est déjà très bien, et bien il se rendent compte à quel point la musique a concouru à valoriser l’expérience de jeu. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui, malgré le fait que je n’ai pas eu de hit, les gens m’appellent toujours !

Crédit Photo : Alexandre Jeanson

LTJ : Dans ton site est noté un projet pour 2019 mais pas de titre. Une piste, un indice ?

Olivier Derivière : Alors en 2019 il va y avoir 3 jeux qui vont sortir et en 2020 un grand AAA. Voilà, je peux te dire ça ! Mais je ne cherche pas le Hit. Quand on est jeune on a envie de succès, on a envie de tout ça. Mais on réalise assez rapidement que le succès on y est pour très peu. Les gens qui ont du succès, c’est une chance inespérée, tant mieux pour eux d’ailleurs. Pas vraiment de jalousie de mon côté puisque je m’éclate mais bien sur qu’on a envie de faire un hit même sans le chercher. A force de l’expérience, à force des années, ce qui compte ce n’est pas du tout ça. Ce qui compte c’est que moi je vais passer un an, voire deux ans sur d’énorme prod avec des gens, et c’est ce que je cherche aujourd’hui, qui ont la même sensibilité que moi, avec qui on s’éclate et avec qui on passe un bon moment. Le jeu vidéo, jusqu’à ce qu’il sorte, on ne sait pas s’il va être bon ou mauvais, ou même s’il va sortir. Mieux vaut passer du bon temps avec des gens que t’apprécie, peu importe ce qui se passe en sortie, que de passer un temps vraiment détestable. Peut-être que si le jeu devient un hit, ça fait passer la pilule mais jusqu’à présent, j’ai plutôt privilégié la relation avec les gens.

 

2 thoughts on “L’interview du Tiroir #03 – Olivier Derivière

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.