LAST TRAIN HOME

Quand j’étais petit, j’avais peur des trains de nuit. Pas à cause des voleurs ou des contrôleurs zélés, mais parce qu’une fois, dans un rêve, j’ai pris un train qui ne s’arrêtait jamais. Les wagons étaient remplis de passagers muets, et le contrôleur avait des orbites vides. Depuis, je regarde les lignes ferroviaires avec méfiance. Il y a quelque chose de faux dans un véhicule qui avance tout droit mais ne semble jamais bouger. Une illusion de progrès, un ruban d’acier pour se perdre en ligne droite.

Jouer à Last Train Home — disponible gratuitement sur itch.io.

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Last Train Home est un jeu qui dure à peine un quart d’heure, mais dans ce quart d’heure, vous allez mourir plusieurs fois. Pas de manière violente, spectaculaire ou définitive. Vous allez mourir comme on s’endort dans un rêve qui ne veut pas finir. Tout se passe dans un train, et ce train n’a pas de terminus. Vous êtes là, passager anonyme, et tout ce que vous pouvez faire, c’est marcher, écouter, parler à d’autres voyageurs qui, très clairement, ne viennent pas du même monde que vous. Ou alors si. Et c’est encore plus inquiétant.

Le plus incroyable, c’est que ce jeu – son moteur, ses graphismes, ses scripts – a été entièrement codé en C par une seule personne. Pas de moteur tout fait, pas d’éditeur intégré. Juste une ligne de code après l’autre, comme si quelqu’un avait construit un train miniature avec des aiguilles et des nerfs. Et ça se sent. Le jeu est brut, rugueux parfois, mais habité. Il ne déroule pas, il flotte. Il grince doucement, comme une rame qui aurait oublié comment freiner.

Aucun tutoriel, aucun inventaire. La seule chose qu’on vous donne, c’est du silence et des regards un peu trop vides. Le pixel-art est joli mais économe, les dialogues sont courts mais lourds de sous-entendus, et la musique fait juste ce qu’il faut pour que vous n’ayez pas envie de cligner des yeux trop longtemps. C’est une boucle. Une boucle narrative, une boucle ferroviaire, une boucle mentale.

Ce qui frappe, c’est cette ambiance suspendue. Ni jour ni nuit. Ni rêve ni réalité. On pense au Transperceneige, version introspective. À Spirited Away, vidé de ses couleurs. Ou à ces moments dans les livres de Haruki Murakami où les personnages prennent le métro… mais ne reviennent jamais à la surface. Le train devient symbole : de passage, d’oubli, d’entre-deux. Ce n’est pas un jeu qui cherche à faire peur. C’est un jeu qui cherche à vous faire douter. De ce que vous êtes. De ce que vous avez fait pour vous retrouver ici. De ce qu’il reste, au fond du tunnel.

La fin ne vous expliquera rien. Et c’est tant mieux. Ce n’est pas un mystère à résoudre, c’est un endroit à visiter. Un entrepôt à souvenirs, un dernier trajet, une épitaphe roulante. Quand l’écran s’éteint, on a l’impression de se réveiller d’une fièvre. On ne se souvient plus de ce qu’on espérait. Seulement qu’on y était.

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