DEATH STRANDING 2 ON THE BEACH

J’ai eu peur. Pas de ces peurs profondes qui vrillent l’estomac, non. Une peur douce, presque molle. Celle d’un fan qui sent le fil se tendre, puis rompre entre lui et l’un des derniers créateurs qu’il admirait sans condition. Parce que ce Death Stranding 2, ce n’est pas un désastre, ni même un mauvais jeu. C’est pire que ça : c’est un jeu tiède. Un chant du cygne qui fredonne en fond pendant qu’un autre spectacle se prépare ailleurs. Il fallait oser.

Informations du Jeu

Plateformes : PS5

Développeur : Kojima Production

Éditeur : PlayStation Studio

Sortie : 26 juin 2025

Je me souviens encore de cette sensation unique, dans le premier opus : marcher seul, contre le vent, le sac brinquebalant dans le dos, le silence entre deux morceaux de Low Roar, la pluie qui tombe comme une sentence cosmique. Cette solitude me parlait. Elle m’avait marqué, au fer. Il y avait quelque chose de brut et de sublime dans le refus de plaire, dans l’absurde répétition d’une boucle de livraison qui devenait mystique. Un jeu avec du corps, du poids, de la sueur.

Et là… j’ai attendu. J’ai marché, certes. Mais surtout, j’ai attendu que ça commence. Que ça revienne. Cette sensation. Mais non. Death Stranding 2: On the Beach ne nous laisse pas seuls. Il nous entoure, nous prend la main, nous guide gentiment d’un point A à un point B. C’est un jeu Kojima sous perfusion d’accessibilité, sous assistance narrative, où les personnages ne parlent plus comme des totems énigmatiques mais comme des figurants de série Amazon Prime. Est-ce que Hideo a voulu plaire ? Est-ce qu’il a voulu s’excuser de l’exigence du premier ? Est-ce qu’il a juste… lâché ?

Et c’est là qu’on touche peut-être au vrai point de rupture : le premier Death Stranding claquait la porte au nez du grand public. Il disait “voici mon jeu, marchez ou partez”. Il fallait s’y perdre, s’y ennuyer parfois, accepter le vide. C’était un rejet volontaire de la norme, une œuvre conçue pour une niche, exigeante, presque hostile. Le deuxième fait l’exact inverse. Il tend les bras, lisse les angles, corrige ce que certains ont appelé des “erreurs”, et se retrouve à ne plus parler à personne. À vouloir s’ouvrir, il devient vague. Il a troqué la cohérence étrange de son identité contre une acceptabilité plus confortable. Et ça ne lui va pas.

Cela dit, il faut être juste : les nouveaux venus ne passeront sans doute pas un mauvais moment. On the Beach est plus clair, plus fluide, mieux rythmé pour ceux qui débarquent. La prise en main est plus rapide, le jeu vous prend moins à rebrousse-poil. Il y a quelque chose de plus immédiat, presque bienveillant, dans cette volonté d’aplatir les angles. Et pour qui n’a pas connu le choc du premier, cette version édulcorée pourra encore séduire. Mais voilà : on ne juge pas une suite seulement sur ce qu’elle est, mais aussi sur ce qu’elle ne veut plus être.

Ce manque de cohérence se manifeste aussi dans les phases d’infiltration. Kojima oblige, on sent le fantôme de Metal Gear Solid rôder dans les hautes herbes. Mais voilà : Sam n’est pas Snake. Et quand on tente d’agir en espion avec la souplesse d’un garde-meuble, tout s’effondre. Ces séquences, souvent plaquées, paraissent hors sujet, maladroites, et pèsent sur le rythme. Elles cassent la dynamique de la marche, sans offrir le plaisir tactique d’un vrai jeu d’infiltration. On ne se faufile pas, on trébuche. On ne contourne pas, on se cogne aux limites du système. À force de vouloir rappeler MGS sans en assumer les mécaniques, On the Beach nous laisse sur un gameplay bancal, ni contemplatif, ni stratégique.

Car pendant ce temps, OD occupe l’imaginaire. Le vrai Kojima, le créateur imprévisible, le fou génial, semble avoir mis son âme dans un autre projet. Celui-ci, On the Beach, ressemble à une commande. Un DLC géant devenu suite. Une marche sans vertige. Une épopée où les arcs-en-ciel ne font plus peur, où les plages ne sont plus des frontières entre mondes mais des décors à visiter. Le cœur du premier jeu — cette peur du vide, cette angoisse du lien, cette solitude fondamentale — est ici émoussé, empaqueté dans une écriture plus convenue, plus bavarde, plus lisse.

Mais voilà. Il faut aussi regarder en face ce que le jeu fait brillamment. Graphiquement, c’est tout simplement bluffant. Rarement un monde post-apocalyptique aura été aussi cohérent, aussi détaillé, aussi palpable. Les roches humides, les nuages lourds, les reflets dans les flaques, les visages ciselés : tout respire l’excellence technique. Chaque plan peut être mis en pause et transformé en fond d’écran. Il y a une esthétique de la ruine et du silence qui, même si elle sert moins le propos ici, impressionne par sa maîtrise.

Et puis la bande-son. Si Low Roar manque cruellement — comment aurait-il pu en être autrement —, le travail musical reste de très haute tenue. Mention spéciale au travail de Woodkid, dont les compositions apportent une densité dramatique et une élégance sonore rares. Le ton est différent, plus orchestral, parfois plus lyrique, mais il colle parfaitement à cette version du monde — plus cinématographique, moins organique. Certaines séquences doivent leur impact uniquement à ces nappes sonores en apesanteur. Même affaibli, Death Stranding continue de résonner.

Enfin, saluons aussi le doublage, impeccable. Norman Reedus reprend Sam avec une justesse presque mélancolique, comme s’il savait, lui aussi, que quelque chose s’est éteint. Léa Seydoux donne à Fragile une grâce fatiguée, et Troy Baker s’amuse encore avec Higgs, même si le script lui donne peu à croquer. Les voix sont là, solides, habitées. Ce ne sont pas les acteurs qui trahissent le jeu, c’est le jeu qui les fait trop souvent attendre.

Alors oui, tout n’est pas à jeter. Et c’est bien ça le plus frustrant. Death Stranding 2 aurait pu être une apothéose. Une méditation sur ce qu’on laisse derrière soi. Un adieu digne. Au lieu de ça, c’est un retour tiède, visuellement superbe, techniquement irréprochable, mais creux dans ce qu’il a à dire. Comme si on avait reconstruit une cathédrale en oubliant de mettre l’autel.

MON AVIS
Le pire, ce n’est pas que Death Stranding 2 soit raté. C’est qu’il soit joli, bien fini, agréable, presque recommandable. Le pire, c’est qu’il manque l’essentiel : ce truc difforme, cette étincelle d’inconfort qui faisait du premier un jeu unique.

Et sur cette plage parfaite, je me suis ennuyé comme jamais.

TRÈS MOYEN

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