l y a des jeux qu’on ne télécharge pas. On les convoque. Comme une séance de spiritisme sur Steam, entre deux roguelikes bavards et un jeu d’action bruyant. Deck of Haunts, c’est exactement ça : une expérience qu’on ne voit pas venir, qui ne fait pas de bruit, qui s’installe doucement, et qu’on finit par garder allumée comme on garde une veilleuse. Pour s’assurer que le monde reste un peu étrange.
Plateformes : PC
Développeur : Mantis
Éditeur : DANGEN Entertainment
Sortie : 7 mai 2025
e l’ai lancé un soir, un peu par curiosité, beaucoup par ennui. Un deckbuilder de plus, pensais-je. Un clone de Slay the Spire, encore, sans doute. Et puis, j’ai vu l’écran titre. Un soupir dans le noir. Pas de musique triomphante. Pas de logo en 3D qui claque. Juste un fond statique, un menu discret, et l’étrange impression d’être déjà observé. C’est subtil. Et déjà, on sent que ce jeu a compris un truc que les autres oublient trop vite : la terreur ne crie pas. Elle attend.

Dans Deck of Haunts, on n’incarne pas un héros. Ni même un anti-héros. On est le mal. Ou plutôt, on est la présence. Le truc dans la maison. L’ombre derrière la porte. Et notre mission, si on peut appeler ça comme ça, est de hanter un lieu, pièce après pièce, jusqu’à faire fuir ou détruire l’esprit des vivants qui s’y aventurent. On ne leur court pas après. On ne les frappe pas. On les ronge. Lentement.
Le gameplay repose sur un système de cartes : chaque carte représente une manifestation — bruit suspect, apparition furtive, miroir qui saigne, voix venue d’ailleurs… À chaque tour, on choisit ce que l’on va “faire apparaître” dans la maison. En face, les humains réagissent : ils enquêtent, fuient, se protègent, doutent, paniquent. Le cœur du jeu est là : dans cette lente montée d’angoisse, dans cette mécanique presque sociale entre le joueur-fantôme et l’IA qui l’affronte sans jamais le voir.

Ce n’est pas un jeu de rythme. Ce n’est pas un jeu d’optimisation. C’est un jeu d’ambiance, presque de mise en scène. On ne cherche pas le combo ultime. On cherche le moment juste pour faire grincer le plancher. Pour souffler sur la nuque d’un personnage. Pour briser le silence au bon moment. En cela, Deck of Haunts se rapproche plus d’un jeu de rôle narratif que d’un pur deckbuilder. Chaque partie est une petite histoire de peur, qu’on raconte à coups de cartes et de bruits étranges.

Ce qui impressionne le plus, c’est l’élégance de l’interface. Minimaliste sans être sèche. Tout est lisible, mais rien n’est trop bavard. Les cartes ont des noms évocateurs, des descriptions brèves mais soignées. Les lieux sont stylisés, parfois même un peu abstraits, mais leur pouvoir d’évocation est intact. Une chambre d’enfant, un salon désert, une cave avec une ampoule pendante… pas besoin de textures 4K. Tout est dans l’implicite. Et dans les non-dits.
L’ambiance sonore est un personnage à part entière. Pas de musique intrusive, mais des nappes, des frottements, des respirations. Le silence est ici un outil de design. Et parfois, une carte déclenche un son si précis, si bien placé, qu’on en a des frissons — même après dix heures de jeu. C’est rare, ce genre de maîtrise sonore dans un jeu indépendant. Encore plus dans un jeu de cartes.

Mais surtout, Deck of Haunts brille par son originalité structurelle. Là où la plupart des deckbuilders cherchent la rejouabilité à tout prix via la génération procédurale ou des arbres de progression abscons, ici tout est plus calme. Plus resserré. On joue pour le plaisir d’explorer les émotions, pas pour grinder un système. Le plaisir ne vient pas du loot, mais du climat. Et ça, dans un jeu vidéo, c’est suffisamment rare pour être salué.
Alors bien sûr, tout n’est pas parfait. Certains effets de cartes sont encore un peu opaques. Les réactions des personnages adverses, bien que crédibles, manquent parfois de variété. Et le jeu ne propose pas encore assez de lieux pour tenir des dizaines d’heures sans redondance. Mais honnêtement ? Ces défauts n’effacent pas la singularité de l’expérience.
Deck of Haunts, c’est un petit jeu qui ne paie pas de mine mais qui fait tout mieux que beaucoup de productions plus riches. C’est une œuvre cohérente, élégante, et habitée. Elle ne cherche pas à vous vendre du frisson à la chaîne. Elle vous invite à hanter un endroit, à votre rythme, et à y laisser votre trace. Et parfois, quand on referme le jeu, on a l’impression que lui aussi est resté là, derrière nous, à attendre qu’on revienne.
MON AVIS
Deck of Haunts n’est pas un jeu pour tout le monde. Il ne cherche pas à plaire, ni à se faire remarquer. C’est une expérience lente, feutrée, à mi-chemin entre la stratégie et la mise en scène, qui fait le pari rare de l’intelligence émotionnelle. Là où beaucoup de jeux de cartes foncent sur le terrain du chiffre, lui choisit l’ambiance, la suggestion, la peur qui rampe au lieu de bondir.
TRÈS BIEN
Points forts
- Incarner la hantise, plutôt que la victime.
- Une ambiance sonore redoutablement efficace
- Une interface sobre et élégante
Points faibles
- Encore trop peu de lieux ou de variantes
- Certains effets de cartes pas toujours lisibles
- Un équilibre encore jeune
Test effectué sur :
PC (Steam)